Réunion d'études (FLASHBACK) - Lizbeth et Marco

Lizbeth déambulait dans les couloirs depuis un moment à la recherche de l’endroit que Marco lui avait indiqué pour leur rencontre d’étude. Elle était un peu plus à l’aise dans les bâtiments de l’école, mais toujours aussi distraite et facilement perdue à cause d’un tournant prit trop tôt ou simplement oublié.

Elle entra bientôt dans le réfectoire, un endroit relativement grand, aéré par sa superficie qui pouvait accueillir beaucoup d’élèves à la fois. Instinctivement, elle se dirigea en direction d’un fumet léger de viande qui s’échappait d’une cantine. Depuis leur première rencontre, Lizbeth avait au moins retenu un élément important à propos de son ami Marco : Il aimait beaucoup manger.

Elle aperçut finalement le jeune homme assis à une table à deux pas d’où l’odeur venait. Elle eut un petit rire étouffé en se disant qu’elle avait eu raison de suivre ce fumet. Il semblait un peu nerveux, regardant ici et là, comme s’il avait peur que le ciel lui tombe sur la tête. Lizbeth ne comprit pas vraiment que c’était elle qu’il attendait avec hâte, elle était si peu conscience de ce que les autres pouvaient faire à cause d’elle qu’elle ne trouvait pas de meilleure explication.

Elle s’approcha de son pas feutré et inaudible habituel. Elle eut l’envie soudaine de le surprendre sans trop réfléchir au pourquoi (et ni au résultat). Lizbeth leva une main délicate et traça quelques pétales des fleurs qu’ils avaient rencontrées lors de leur promenade dans les jardins. Des pétales de couleurs vives s’étalèrent dans l’air à environ 30 cm de la tête de Marco. Fleurs de cerisiers, roses, lilas, jonquilles, marguerites tombaient gracieusement sur le jeune homme.

Lizbeth se sentait amusée. Elle ne souriait pas, mais une vague de chaleur l’emplissait. Elle réalisait qu’il y avait quelqu’un d’autre avec qui partager ses dessins. Un ami.

Le jeune homme avait sursauté un peu lorsqu’il avait vu les pétales virevolter autour de lui. Lizbeth sentait un certain amusement à regarder ses réactions, réactions qui étaient beaucoup plus expressives que les siennes. Pour la jeune fille, ses dessins étaient une façon de rendre le sourire de sa mère, et de pouvoir les faire pour quelqu’un d’autre à l’académie, la soulageait de sa solitude quelque peu.

Il s’était exclamé d’un ton empli de joie :

''Je suis très heureux de te revoir! V-Veux tu que j'ailles te chercher quelque chose à boire ou à manger?'', proposa-t-il.

Lizbeth réfléchit un instant. Le temps qu’elle mit à y penser, il s’était déjà remis dans la conversation :

''Ah euh... Ils sont toujours aussi magnifiques tes...dessins'', dit-il, un peu gêné et d'un ton plus calme.

Elle répondit d’un air un peu timide :

« Ah… Merci. J’ai pensé que ça te ferait plaisir. »

Elle repensa à son offre. La chaleur du thé infusé lui manquait. Comme il n’avait pas quitté son pays natal, la cantine devrait en avoir. Elle continua :

« J’aimerais bien un thé Earl Grey… Si ça ne vous dérange pas. Par une journée comme aujourd’hui, un peu de chaleur me ferait un grand bien. »

Elle avait laissé son regard se diriger vers la grande vitrine qui surplombait l’endroit et le baignait de lumière extérieure. Le temps était un peu grisâtre, l’air semblait pesant et la pluie inévitable. À l’intérieur, il faisait un peu frais. Lizbeth n’était pas encore habituée à son uniforme, elle le trouvait quelque peu inconfortable.

Elle s’avança d’un pas léger pour prendre place en face de Marco. En s’asseyant, elle prit le temps de garder l’arrière de sa jupe en main pour éviter de la froisser. Elle déposa ses quelques livres en face d’elle et attendit patiemment.

Pendant que Marco s’en alla prendre le dit thé, Lizbeth continua d’observer avec attention particulière la nature qui s’assombrissait à l’extérieur. De petites gouttelettes se formaient sauvagement sur la paroi de la fenêtre. Suivant un rythme secret, elles s’assemblèrent de plus en plus rapidement pour enfin couvrir la majorité de la vitre. Sa transparence était maintenant toute embrouillée. Pendant un instant, l’esprit de la jeune fille s’était infusé de souvenirs plus ou moins agréables… De longues journées, assise seule, au abord de la fenêtre… Lizbeth se secoua la tête légèrement. Les pas pesants de Marco s’approchaient à nouveau, accompagnés du cliquetis d’un service à thé. Son qui l’emplit de chaleur instantanément. Le thé arrivait.

''Pardon pour l'attente, mademoiselle'', s'excusa-t-il.

« Oh, ce n’est rien, Monsieur Marco. Il faut bien préparer le thé, c’est important. » ajouta-t-elle, le visage sérieux, mais emplit de légèreté.

Marco sembla lui aussi se perdre un instant dans le dédale de la fenêtre. Il dit d’un ton qui apparaissait comme un soupir :

''On dirait bien qu'un orage se prépare...''

Lizbeth, qui avait presque compté les gouttelettes quelques minutes avant, acquiesça d’un signe gracieux dans la tête. Elle répondit d’une voix chuchotée, comme pour elle-même :

« En effet… la pluie nous rattrape toujours… »

Son commentaire était tellement faible qu’il passa presque inaperçu. Au même moment, Marco lui avait demandé des nouvelles au sujet de sa première semaine. Lizbeth mit quelques secondes à réfléchir à sa réponse en affichant le regard un peu perdu de quelqu’un qui se creuse les méninges pour répondre. Elle ouvra finalement la bouche :

« Il ne s’est pas passé grand-chose… je me suis perdue en tentant d’aller en ville pour de nouveaux vêtements… J’ai d’ailleurs apprit à me servir d’un autobus… » dit-elle en faisant une petite pause. Ses joues s’empourpraient tant le souvenir lui rappelait son manque de connaissance du monde réel. Parfois, elle avait l’impression de débarquer d’une autre planète, tant elle se sentait en terre inconnue.

Elle servit l’Earl Grey délicatement, en prenant soin de bien rendre la tasse de Marco parfaitement alignée avec la table. Elle y ajouta un petit cookie, qu’elle déposa sur une serviette à côté de la tasse. Sa propre tasse, elle la plaça avec autant de doigté et dégusta sa première gorgée. Le liquide chaud envahit lentement son estomac.

« Disons que j’apprends un peu plus à m’occuper de moi-même… J’ai… je… »

Elle hésita. Oserait-elle avouer sa peur de grandir? Malgré le fait qu’elle ait été forcée à s’occuper d’elle-même et de sa mère, elle réalisait depuis son arrivée à l’académie que de se débrouiller toute seule n’était pas une mince affaire. Une petite part d’elle-même criait qu’elle était plus forte que tout ça… qu’elle avait survécu au manoir et à son grand-père… qu’elle ne pouvait pas se permettre de s’admettre vaincue.

Elle reprit son souffle : « Enfin, disons que ça n’a pas été de tout repos. Les cours sont un peu difficiles. Les enseignants parlent très vite parfois… L’anglais se passe bien, mais je suis confuse… c’est quoi exactement les mathématiques? À quoi elles servent? J’y comprends très peu honnêtement. »

Elle eut un petit rictus timide tout en ouvrant son cahier de maths. L’intérieur était emplit de quelques notes prisent avec une délicatesse et une précision presque irréelle, mais le contenu était absolument inutile…

Lizbeth observait avec attention le cercle formé par l’embouchure de sa tasse de thé. La porcelaine était fine, pas particulièrement luxueuse, mais de bonne gamme. Un petit bord doré l’ornait et étincelait de temps à autre lorsque la dite-tasse était en mouvement. Elle soupirait intérieurement, de peur que Marco se moque de son cahier de notes.

Ce ne fut pas sa réaction. Il ria, mais d’une voix claire, soulageante… et quelque peu apaisante. Ce rire sincère lui rappela celui de sa mère, du temps où elle n’avait pas perdu la raison. Une douce vague de chaleur l’envahie. Elle ne sut pas trop pourquoi, mais elle était moins mal à l’aise d’un coup.

Marco la soulagea en mentionnant que les mathématiques n’étaient pas que complexes pour la jeune fille. Il lui montra sa calculatrice, mais Lizbeth n’osa point lui demander comment celle-ci fonctionnait. Tout ce qu’elle savait sur l’objet à boutons c’est qu’il pouvait aider au calcul… Elle sortit machinalement la sienne, la déposa aux côtés de son cahier de façon à ce que les deux pièces soient bien parallèles l’une à l’autre.

Le jeune homme s’exprima à nouveau : "Au moins on a droit à ça. De mon côté, j'ai un peu de mal à me mettre à jour avec les cours, j'ai du retard à rattraper".

Lizbeth reprit une gorgée de thé. Le liquide était toujours aussi rassurant lors de sa décente. Elle prit une seconde pour fermer les yeux et déguster. Marco continua sa quête de nouvelles.

"Au moins, les gens à Tsuki ont tous été très gentils avec moi. Il y a une élève de ma Maison qui m'a dit l'autre jour que les émeraudes sont comme une grande famille. Comment sont les saphirs avec toi? Tu t'intègres bien?", demanda-t-il.

La jeune fille se perdit un moment dans ses pensées, cherchant une réponse pour Marco. Elle ne savait pas trop quoi répondre. Elle n’avait pas vraiment beaucoup parlé avec les Saphirs de sa chambre commune. Certes, elle avait rencontré Yumiko et bien qu’elle fût très accueillante, Lizbeth n’arrivait toujours pas à se sentir complétement à l’aise. Partager son logis avec d’autres personnes était déjà une habitude à prendre. Et prendre de nouvelles habitudes prenait du temps…

Ses yeux évadèrent le regard du jeune garçon et elle se mit à fixer un point sur la fenêtre imbibée d’eau de pluie.

« J’ai rencontré une Saphir qui vit dans la même chambre que moi. Elle est très belle. »

Lizbeth repensait à ses cheveux longs, ses boucles de lumières qui s’étendaient partout autour de son corps. La jeune femme avait une prestance qui impressionnait probablement toutes les personnes qui la croisait.

« Les Saphirs sont un peu plus tranquille, je crois. L’étage est toujours très calme. J’entends le vent souffler entre les fenêtres sans qu’il n’y ait d’interruptions. Il semblerait que je m’endorme trop rapidement pour rencontrer les autres élèves qui résident la chambre… Je suis si exténuée depuis mon arrivée… » continua-t-elle.

Elle fit une courte pause pour mener sa tasse contre ses lèvres. Le breuvage sembla lui donner plus de courage.

« J’ai un peu de mal à m’habituer à tout ce qui se passe ici… Le rythme est… essoufflant… mais je ne retournerai jamais d’où je viens… Il n’y a plus rien pour moi au manoir. »

Elle se retourna, l’air de sortir d’une rêverie. Ses yeux croisèrent ceux de Marco. Des yeux sérieux, déterminés, mais qui décelaient un peur vivide en leur fond. La tension de sa dernière phrase semblait polluer l’air ambient…

Lizbeth fut prise de court par l’enthousiasme soudain de Marco. Il s’était levé, l’air solennel et passionné, et avait déclaré fièrement à la jeune fille qu’il serait celui qui pourrait lui faire découvrir le monde. Lizbeth l’avait regardé avec des yeux ronds le temps de son mini-discours. Elle ne comprenait pas trop le mélange d’émotions qui s’emparait d’elle. Elle avait l’impression de redevenir gamine, de retrouver une partie de son cœur d’enfant… Celui qui maintenant était constamment plongée dans l’aphasie sentimentale… C’était comme si elle reconnaissait finalement son rythme, léger battement qui s’était montré prévalent à l’écoute du jeune garçon.

Elle resta muette un moment, comme absorbée par le silence qui suivit les derniers mots enflammés de Marco. Elle se rendit compte que son visage s’était réchauffé doucement, lui créant de belles pommettes rosées par l’émotion. Par réflexe, elle y posa les mains, doigts écartés délicatement, et glissa le long de son visage. Lorsque ses doigts atteignirent ses lèvres, elle eut un léger sursaut, comme un frisson. Elle esquissait un mince sourire, délicat et paisible…

Marco s’était rassit l’air gêné par sa performance quelque peu théâtrale et ajouta sur un ton timide emplit d’excuses :

« Si tu le veux toujours bien sûr »

Lizbeth déposa ses mains sur sa tasse de thé. La chaleur qui émanait de la porcelaine la rassura. Un petit couinement distant provenant de sa poche l’encourageait à parler :

« Je… Je… »

Cinder s’agitait en effectuant des rondes à l’intérieur du tissu de sa jupe. Lizbeth n’arrivait pas à faire sortir les mots. Que voulait-elle dire, réellement? Elle n’en était pas certaine… Comme si l’émotion qu’elle venait de vivre n’avait pas de nom. Pourtant, elle savait sans l’ombre d’un doute qu’elle désirait le suivre.

« Enfin… je veux dire… oui, bien sûr! »

L’air timide, elle détourna le regard vers la fenêtre à travers laquelle rayonnait un soleil d’avant-midi bien présent. Pendant un instant qui ne dura que quelques secondes, elle eut l’impression de fondre dans les rayons lumineux. La table s’éclaircissait graduellement, tachetée par l’ombre des rideaux et des arbres voletants au gré du vent. Lizbeth ajouta d’une voix plus posée :

« J’ai hâte de commencer à découvrir avec toi. »

Elle reprit du thé pour masquer sa timidité. Cinder semblait s’être calmée; Lizbeth avait d’ailleurs enfouis sa main au creux de sa poche. Elle caressait l’animal du bout des doigts d’un mouvement imperceptible. Elle observa les objets sur la table et y retrouva son fameux cahier de maths bourré de notes complétement inutiles… Elle afficha un visage embêté.

« Probablement qu’il nous faudrait commencer avec cela… » dit-elle, finalement.